Les dames de Chenonceau


Catherine Briçonnet, la bâtisseuse (début du 16 s.).

Bohier a épousé Catherine Briçonnet, une tourangelle appartenant à une famille de grands financiers. Très absorbé par sa charge et souvent à la suite des armées dans le Milanais, il ne peut suivre les travaux de Chenonceau. C'est Catherine qui en est l'âme.
On sent d'ailleurs dans le site choisi pour le château, dans sa distribution, une influence féminine et des préoccupations de maîtresse de maison. C'est ainsi que, sour la première fois, les pièces sont réparties de chaque côté d'un vestibule central, ce qui facilite grandement le service. De même pour cette autre nouveauté de Chenonceau: l'escalier en rampe droite, plus pratique et mieux adapté aux réceptions que l'escalier à vis.
Bohier meurt en 1524 et Catherine deux ans après.
François Ier fait éplucher les comptes de son trésorier. On trouve qu'il est redevable au Trésor de fortes sommes. Pour payer cette dette, son fils abandonne alors Chenonceau au roi.

Diane de Poitier, la toujours belle.



En 1547, quand Henri II monte sur le trône, il donne Chenonceau à Diane de Poitiers. Elle a 20 ans de plus que lui, mais sa séduction est célèbre. "Je l'ai vue, écrit un contemporain, en l'âge de 70 ans (en fait, elle mourut à 67 ans), aussi belle de face et aussi aimable comme en l'âge de 30 ans. Et surtout, elle avait une très grande blancheur et sans se farder aucunement. Mais on dit bien que tous les matins elle usait de quelque bouillon et autres drogues que je ne sais pas".
Veuve de Louis de Brézé, elle lui a fait élever un splendide tombeau dans la cathédrale de Rouen et porte toujours les couleurs de deuil noir et blanc. Son empire sur Henri II est tel qu'elle les lui fait adopter. Diane commande un beau jardin et fait élever un pont reliant le château à l'autre rive du Cher. Elle trouve d'abondantes ressources dans l'impôt de 20 livres par cloche dont elle reçoit une bonne part, ce qui fait dire à Rabelais Le roi a pendu toutes les cloches du royaume au col de sa jument.
La mort de Henri II, tué en 1559 par la lance de Montgomery, au cours d'un tournoi, place la favorite en face de Catherine de Médicis devenue régente. La reine, patiente et dissimulée, a accepté le partage, elle va savourer sa vengeance. Diane est très attachée à Chenonceau et Catherine sait qu'elle la frappe au point sensible en l'obligeant à le lui céder en échange de Chaumont. La mort dans l'âme, la favorite quitte les bords du Cher, ne fait que passer à Chaumont et se retire au château d'Anet où elle meurt sept ans plus tard.

Catherine de Médicis, la fastueuse.



Avec le goût des arts, Catherine de Médicis a le goût du faste et satisfait à Chenonceau l'un et l'autre. Elle fait tracer un parc, construire sur le pont une galerie à double étage, établir de vastes communs.
De belles fêtes se succèdent et les contemporains s'en émerveillent. Il y a celle de l'entrée de François Il et de Marie Stuart, celle de Charles IX qui est encore plus brillante. Dans les fossés qui bordent l'allée du château, des jeunes femmes costumées en sirènes accueillent les visiteurs. A leurs chants mélodieux répondent ceux des nymphes qui sortent des bosquets. Mais l'arrivée des satyres fait s'envoler la gracieuse troupe. Repas, danses, mascarades, feux d'artifice, combat naval sur le Cher, rien ne manque à ces réjouissances.
Henri III préside un festin champêtre qui coûte 100 000 livres et fait sensation. " Les plus belles et honestes dames de la cour étant moitié nues et ayant leurs cheveux épars comme épousées, furent employées à faire le service avec les filles de la reine "

Louise de Lorraine, l'inconsolable (fin du 16ème s.).

Catherine a légué Chenonceau à sa belle-fille Louise de Lorraine, femme de Henri III. Après l'assassinat du roi par Jacques Clément, Louise se retire au château, prend le deuil en blanc selon l'étiquette royale et le garde jusqu'à la fin de sa vie, d'où le nom de "Reine ou de Dame Blanche" qui lui fut donné. Sa chambre, son lit, les tapis et les chaises sont tendus de velours noir, les rideaux de damas noir les plafonds portent des couronnes d'épines et des cordelières peintes en blanc sur fond noir. Pendant onze ans, Louise, fidèle au souvenir conjugal, partage son temps entre l'oraison, la broderie et la lecture.

Madame Dupin, l'amie des lettres (18e s.).



Après Louise de Lorraine, Chenonceau entre dans une période d'abandon, jusqu'au moment où le fermier général Dupin en devient propriétaire.
Mme Dupin y tient un salon où défilent toutes les célébrités de l'époque. Jean-Jacques Rousseau est le précepteur de son fils. C'est à l'usage de ce dernier qu'a été composé son traité d'éducation: " Emile ". Dans ses "Confessions", il parle avec chaleur de cet heureux temps: "On s'amusait beaucoup dans ce beau lieu, on y faisait très bonne chère, j'y devins gras comme un moine".
Mme Dupin vieillit entourée de l'affection des villageois, grâce à quoi le château traversa la Révolution sans dommage. Selon son voeu, elle fut enterrée dans le parc.

Madame Pelouze, l'amateur d'ancien (19ème s.).

En 1864, Mme Pelouze achète Chenonceau et fait de la restauration du château l'affaire de sa vie. Elle le rétablit dans l'état où l'avait laissé Bohier. Catherine de Médicis avait modifié la façade principale en doublant les fenêtres et en plaçant entre elles des cariatides. Les ouvertures supplémentaires sont bouchées et les cariatides transportées dans le parc. Un bâtiment ajouté entre la chapelle et la librairie est également supprimé.
Le château est actuellement la propriété de la famille Menier.



Jardins


On compte deux jardins principaux : le jardin de Diane de Poitiers et le jardin de Catherine de Médicis, situés de part et d'autres de la Tour des Marques, vestige des fortifications précédant l'édification du château actuel.

Jardin de Diane

Au-delà de la visite du Monument dont le visiteur conservera d’inoubliables souvenirs, le vaste Domaine de Chenonceau offre la possibilité de découvrir en toute liberté deux magnifiques Jardins : celui de Diane de Poitiers et celui de Catherine de Médicis, ornementés d’une multitude d’arbustes, de centaines de rosiers grimpants et de rosiers tige et plantés à raison de deux fois l’an au printemps et en été de 40 000 plants de fleurs cultivés sur le Domaine, mais aussi ses Parcs boisés de 70 hectares, qui constituent sans nul doute un cadre propice à la promenade et à la détente.
Le jardin se trouve bordé de murs de soutènement et de terrasses.

La décoration repose sur huit triangles de gazon, lequel est agrémenté de volutes de Santolines d'une longueur totale de 3 000 mètres.
En son centre, le Jardin de Diane retrouve son jet d'eau d'origine.

D'une conception surprenante pour l'époque, le jet d'eau jaillit d'un gros caillou taillé en conséquence et retombe en gerbe vers un réceptacle pentagonal de pierre blanche.
Les murs de soutènement sont habillés de 120 Rosiers Grimpants Iceberg et sur lesquels reposent 30 vasques.

L'entrée du Jardin de Diane de Poitiers est commandée par la Chancellerie, maison du régisseur du domaine, au pied de laquelle se trouve un embarcadère, agrémenté d'une vigne, accès indispensable à toute promenade sur le Cher.


Jardin de Catherine


Bordant l’Avant-Cour, qui présente elle-même de splendides rosiers grimpants et une majestueuse allée de seize orangers, le visiteur découvre le Bâtiment des Dômes, qui abritait autrefois les écuries Royales et l’élevage de vers à soie introduit en France par Catherine de Médicis, puis il pénètre dans la cour de la ferme du XVIème siècle, enfin dans le Jardin des Fleurs, où sont exclusivement produites d’innombrables fleurs à couper qui sont destinées à la décoration florale du Monument, du Bâtiment des Dômes et de l’Orangerie.

Le Jardin de Catherine de Médicis est bordé à l'Est d'une côtière délimitant les douves, qui sont alimentées en eau par la Cher.
Une plantation de lierres grimpants sur un treillage de bois délimite le Jardin sur son côté Nord.
La côtière accueille sur toute sa longueur 40 rosiers Clair Matin.

La décoration repose sur cinq panneaux de gazon regroupés autour d'un bassin de forme circulaire de 15 mètres de diamètre, gazon agrémenté de cordons de lavande Hidcote Blue d'une composition totale de 1 500 pieds.



La décoration florale des jardins, renouvelée au printemps et en été, nécessite la mise en place de 130 000 plants de fleurs cultivés sur le domaine.

Le labyrinthe


Reconstitution de l'époque de Catherine de Médicis, le labyrinthe circulaire de plus d'un hectare, planté de 2000 ifs (taxus baccatta), d'un mètre trente de hauteur environ, est situé dans la clairière du parc.
Une charmille l'entoure, taillée en 70 arcades dont les espaces libres accueillent de somptueux vases plantés de buis et de lierres.

Au centre, une gloriette surélevée, construite d'après un dessin ancien, permet d'avoir une vue d'ensemble et de pouvoir admirer le tracé. Les visiteurs pénètrent dans le labyrinthe par l'une des cinq entées, cependant seuls deux chemins mènent à la gloriette. Elle est habillée d'osier vivant, et surmontée d'une statue de Vénus. À ses côtés, surmontée au sommet d'un tronc en bois de cèdre, une statue représentant une nymphe portant Bacchus enfant sera bientôt envahie de Jasmin.

Conçue en bois d'irroco, bois très résistant aux intempéries, elle vieillira en prenant une teinte gris argenté, comme le chêne.
Ce labyrinthe permet de redécouvrir les caryatides que Catherine de Médicis avait fait ajouter au centre de la façade du château.
Celles-ci furent retirées 300 ans plus tard par Madame Pelouze, pour rendre au monument la pureté de son architecture originelle.
Aujourd'hui, les 4 caryatides retrouvent leur noblesse en toile de fond du labyrinthe.




Architecture






Le château présente un corps de logis carré avec un vestibule central donnant sur quatre pièces de part et d'autre. Au rez-de-chaussé, il y a une chapelle, la chambre de Diane de Poitiers et le cabinet vert de travail de Catherine de Médicis. Au bout du vestibule, on accéde à la galerie au-dessus du Cher. La galerie du rez-de-chaussé porte un dallage blanc et noir et accueillit un hôpital militaire au cours de la Première Guerre mondiale. Le reste du rez-de-chaussé comporte la chambre François Ier et le salon Louis XIV.



Les cuisines sont installées dans les piles du château. Un quai de débarquement permettait d'y amener directement des marchandises.

L'escalier, à double volées droites, est accessible derrière une porte qui se situe au milieu du vestibule. Il permet d'accéder au vestibule Catherine Briçonnet au premier étage. À nouveau 4 chambres, la chambres des cinq Reines, la chambre de Catherine de Médicis (au dessus de son cabinet vert) la chambre de César de Vendôme, et la chambre de Gabrielle d'Estrées (favorite de Henri IV).


La chambre de Louise de Lorraine au second étage porte le deuil de la femme d'Henri III où l'on remarque la couleur noire dominante du lambris, les peintures macabres, le prieuré tourné vers la fenêtre et les décorations religieuses évoquant le deuil.





Histoire




Le château est édifié dans le lit du Cher, sur les piles d'un moulin fortifié et du château fort racheté à la famille des Marques. Celui-ci fut rasé, à l'exception du donjon (la tour des Marques, qui sera adaptée au style renaissance) et du puits qui le jouxte. Il fut bâti par Thomas Bohier, le secrétaire général des finances du roi François 1er. Le corps de logis carré qui constitue le château originel fut construit entre 1513 et 1521. Bohier étant occupé par la guerre, c'est surtout sa femme, Katherine Briçonnet, une tourangelle appartenant à une famille de grands financiers qui dirigea les travaux et fait les choix architecturaux. C'est ainsi que, pour la première fois, les pièces sont réparties de chaque côté d'un vestibule central, ce qui facilite grandement le service. De même pour cette autre nouveauté de Chenonceau: l'escalier en rampe droite, plus pratique et mieux adapté aux réceptions que l'escalier à vis. Bohier meurt en 1524 et Katherine deux ans après.


Bohier était receveur des finances puis intendant général des Finances de Charles VIII, Louis XII, puis de François ler et avait pour devise : « S'il vient à point m'en souviendra ».
À la mort de Thomas Bohier, un audit des finances mit en évidence des malversations, ce qui permit à François Ier d'imposer une forte amende à ses descendants et de récupérer le domaine et le château en 1535. Il sera offert par Henri II à sa célèbre favorite Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois. Elle fit aménager sur la rive droite du Cher, par Pacello da Mercoliano, le jardin qui porte encore son nom ; elle confia par ailleurs à son architecte ordinaire, Philibert de l'Orme, le soin de construire un pont reliant le château de Bohier à la rive gauche de la rivière afin d'y implanter de nouveaux jardins et d'accéder à de plus grandes chasses. Ce pont faisait partie des plans originels de Thomas Bohier.

À la disparition de Henri II, mortellement blessé lors d'un tournoi en 1559 par le capitaine de sa garde écossaise Gabriel Ier de Montgomery, Catherine de Médicis, devenue Régente, contraignit Diane de Poitiers, sa rivale dans le cœur du roi, à restituer Chenonceau à la Couronne. En échange de quoi, elle cède à Diane le château de Chaumont-sur-Loire, à quelques kilomètres de là. En tant que Reine mère, après les accessions successives au trône de ses fils, François II, Charles IX et Henri III, Catherine de Médicis fit édifier sur le Pont de Diane la splendide galerie, achevant ainsi de donner à Chenonceau le style que l'on admire aujourd'hui.

Après la visite de Louis XIV le 14 juillet 1650, une pièce fut baptisée Salon Louis XIV. L'histoire du château est marquée par les femmes qui en furent les propriétaires et les bâtisseuses, d'où son surnom de Château des Dames. Parmi elles, Louise de Lorraine épouse de Henri III dont la chambre, au second étage, porte le deuil de son mari, assassiné en 1589. Une pièce est dédiée aux filles et belles-filles de Catherine de Médicis, La Chambre des cinq Reines (Marie Stuart, Marguerite de France (la reine Margot), Louise de Lorraine, Élisabeth d'Autriche et Élisabeth de France).

A
u lendemain des fastes royaux de la Renaissance, Chenonceau retourna dans le domaine privé au fil de successions multiples et de mutations diverses.
Claude Dupin, fermier général, acheta le château en 1733 au duc de Bourbon. Sa seconde femme, Louise Dupin, y tint salon et y reçut notamment Voltaire, Fontenelle, Marivaux, Montesquieu, Buffon et Rousseau. C'est à Louise Dupin que l'on attribue la différence d'orthographe entre le nom de la ville (Chenonceaux) et celui du château (Chenonceau). Propriétaire du château pendant la Révolution française et grande amie des villageois de Chenonceaux, elle voulut faire un geste pour différencier la Royauté, dont le château était un symbole fort, de la République. Elle aurait ainsi changé l'orthographe de Chenonceaux en supprimant le « x » final. Bien qu'aucune source n'ait véritablement confirmé ce fait, l'orthographe Chenonceau est aujourd'hui majoritairement acceptée pour désigner le château.



Le bâtiment resta dans la famille Dupin jusqu'en mai 1864, date de l'achat du château et de 136 hectares de terres pour 850 000 francs par Marguerite Pelouze, née Wilson, riche héritière qui de 1867 à 1878 en confia la restauration à Félix Roguet; parmi ses grands - et ruineux - travaux figurent le rétablissement dans son état initial de la façade d'entrée modifiée par Catherine de Médicis, la seconde volée de l'escalier, plusieurs cheminées de style Renaissance et la porte de la chapelle, à la sculpture de très grande qualité. (Source : Jean Guillaume, "Chenonceau", numéro h.s 37 de Connaissance des Arts, 2001, p.31) Elle y employa également son amant le fresquiste Charles Toché (Nantes,1851-Paris,1916).




Dans l'été 1879 elle y reçut dans son orchestre de chambre le jeune pianiste Claude Debussy, et en 1886 Toché y organisa pour Jules Grévy, Président de la République de 1879 à 1887, "une fête de nuit sur le Cher, avec reconstitution du Bucentaure entouré de gondoles"; une "Allégorie du Cher" où figure un gondolier (tapisserie dite de Neuilly, XIXème s.) est exposée dans le vestibule du 2ème étage. (source : Paul Morand, "Journal d'un Attaché d'Ambassade, 1916-1917 " Gallimard, 1963, pp. 17 et 18).
Son frère Daniel Wilson (1840-1919), député radical en 1869 et 1871, puis député de Loches (1876-1889) où il acquit un château et une filature, y reçut l'opposition républicaine locale; en octobre 1881 s'y déroula la réception de son mariage avec Alice Grévy. Il fut l'auteur du "trafic des décorations", scandale qui entraîna la démission de son beau-père le 2 novembre 1887. L'année suivante, le domaine est saisi à la demande des créanciers de sa soeur et racheté par le Crédit Foncier.
Le 5 avril 1913, une vente judiciaire par adjudication le fait entrer pour 1 361 660 francs dans le patrimoine d'Henri Menier (1853-1913), homme de la grande bourgeoisie industrielle - une photo le montrant à 'entrée du château figure sur le site Internet consacré par un collectionneur à la chocolaterie Menier - il meurt brutalement en septembre suivant, et son frère Gaston (1854-1934) en hérite. Le château, resté dans sa descendance, est le Monument Historique privé français le plus visité aujourd'hui.



Comme d'autres châtelains français patriotes, Gaston Menier en fit un hôpital militaire pendant la Première Guerre mondiale, où 2 254 soldats blessés furent soignés. Durant la Seconde Guerre mondiale, il se retrouve à cheval sur la ligne de démarcation avec un côté en zone occupée et l'autre en zone libre. En 1944 une bombe tomba à proximité de la chapelle et détruisit les vitraux d'origine, remplacés ensuite par Max Ingrand.